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La colonie

Chris Dolan

Métailié, 2016

Comment devient-on colon* ? Telle est la question posée par ce roman de l’écossais Chris Nolan. Tout se passe à la Barbade** en 1830, une île lointaine où la mer des Caraïbes rejoint l’océan Atlantique.

A l’heure où les romanciers se glissent volontiers dans la peau d’un autre (immigré chez Gunther Grass, Tête de Turc ou officier S.S. chez Jonathan Littell, Les bienveillantes), l’auteur Chris Nolan entre, lui, dans le corps/esprit/rôle d’une actrice Elspeth. Sélectionnée en Ecosse par un mécène-mentor Lord Coak, elle est invitée à jouer et monter une pièce de théâtre dans l’île. Elle se dénude devant lui, prestation qui devient le symbole de son histoire ultérieure.

Arrivée à la Barbade, elle « se débarrasse de la cosse de l’ancienne Elisabeth pour laisser germer les graines de la nouvelle». Actrice modeste, elle y mène une vie d’aristocrate (comme Lord Byron) dans sa version insulaire : boire, jouer aux dés, nager, baiser, etc… Projet brisé par un ouragan qui dévaste le théâtre, la synagogue, le fort, coupant l’île du monde.

La mort de son premier amant, le riche et distingué Georg, écho de celle du marin canonnier lors du départ, est l’indice supplémentaire de quelque maléfice, en un « monde déchu », abandonné par Dieu. Finie la vie d’artiste avec le richissime héritier. Ses ambitions professionnelles s’effondrent. Elspeth devient prisonnière d’une terre que les Blancs veulent toujours dominer. L’émancipation des esclaves a engendré une crise dans les plantations que les colons peuplent désormais d’immigrants écossais pauvres. L’intendant Shaw – qui remplace Coak d’une certaine façon – fait venir 24 travailleuses écossaises sélectionnées, organise les affinités et le mariage avec les hommes de l’île, engendrant les naissances d’enfants (souvent malformés). Le rapport femme/homme blanc avec les habitants noirs (« couleur d’ombre » ou « nègre », l’auteur n’hésite pas à employer ce terme) est empreint de désir mêlé de racisme. Elspeth devient « maîtresse de la plantation », puis … de l’intendant.

Quel sens donner à sa vie auprès de ces êtres forcés au travail pour une cause immorale et nostalgiques du retour au pays? Leur vie est le miroir déformé de celle d’Elspeth. Elle se sentait un « pèlerin de l’âme » et tentait de transmettre ses valeurs à Bathsheba, la fille métisse d’une autre femme. En vain…

A la question posée en début de notule, le lecteur répond qu’on devient colon en raison des bénéfices narcissiques tirés de certaines habitudes et d’une grande indifférence à l’égalité entre tous. Ce roman détaille le système et les us et coutumes coloniales (des manies et tempéraments des uns et des autres jusqu’aux maisons closes, aux difficultés du métissage, aux avortements, etc…), aurait gagné à être plus centré sur l’action et moins entrecoupé de missives (Diana) ou de récits parallèles (Capitaine Shaw).

Jane Hervé

*Le mot « colon » n’a bizarrement pas de féminin…
** La Barbade sera indépendante du Commonwealth en 1966.

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