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La mer à courir

Jean-Luc Marty

Julliard, 2014

Le titre énigmatique est une invitation à se tourner vers la mer. A « courir » du regard sur les crêtes d’écume ? « À courir » vers les vagues qui se déroulent sur la plage ? à ouvrir les pages du livre de Jean-Luc Marty pour en percer le sens… L’expression traduite s’éclaire d’emblée, comme un espace de mer à parcourir avant d’atteindre la grève. De fait, un accident – prélude du récit – a lieu à cet instant-là : sur le voilier, un coup de bôme imprévu projette une mère en mer.

Sa fille orpheline Virginie porte un prénom littérairement prédestiné (par le récit de Bernardin de Saint-Pierre). Devenue journaliste (travaillant sur la Bolivie, une terre « sans mer à courir »), elle découvrira Paul. Ce jeune Tahitien tatoué d’une fougère spiralique – symbole d’une nouvelle vie – porte, lui, le prénom de Gauguin… Or la mère de Paul qui vécut avec le père de Virginie veut transmettre à celle-ci un message paternel (mi-journal de bord , mi-journal intime). Son fils Paul devient le facteur improvisé. Ces deux personnages – V. et P. – issus de la légende font connaissance en métropole.

Paul, étudiant en géographie, y vit dans le magma humainement complexe des banlieues multicommunautaires où se croisent Comoriens, Algériens, Marocains, Portugais, etc… Chacun y assume ses coutumes et préserve quelque bien représentatif (ex : représentation de La Kaaba). Au fil des pages, les liens entre les peuples émergent de la cité (surnommée Bouledogue) : entre les Algériens et les Polynésiens qui ont subi les mêmes essais nucléaires catastrophiques de la France, entre les Comoriens et les Marquisiens qui se découvrent des connivences insulaires.

Des bribes d’histoire peu connues émergent : les Péruviens ont ainsi pratiqué la traite des Polynésiens au XIXe siècle. Au-delà de ces communautés contiguës, l’étudiant découvre l’univers du « non-lieu ». Sous les périphériques vivent ceux qui sont rejetés par tous (Roms, etc…), même par les banlieusards. Il se découvre alors « flottant de naissance » : né d’une « île en sursis », il prend « langue avec le vent ». Ni plus, ni moins.

Quant à Virginie, de mère bolivienne, elle est une « enfant du silence ». Elle s’initie au journalisme à la suédoise, parmi des professionnels âpres et inconséquents préparant un e.magazine. Ces deux héros ordinaires, décentrés en quelque sorte et supportant leur propre solitude, ont en partage « l’envie du fleuve ». Telle est leur manière de se trouver dans la présence continue de l’eau.

L’auteur part parfois à la dérive, libérant l’imaginaire ancré dans ce chaos d’un réel mondialisé. La grâce de l’écriture teinte – ça et là – de poésie, le langage émergeant de ce nouveau monde banlieusard. Il y a « des petits mots comme des nuages ». Il y a un « silence à l’architecture si transparente ». Il y a des « vents qui habitent les voix ». Il y a des voix humaines qui, de nuit, « se faufilent entre les bosquets ». Il y a « l’air qui entre dans les phrases » des paroles tahitiennes (pour dire les mots inachevés). On aurait aimé que ce vent-mer déferle sur tout le récit. « Au versant des mots, il se raconte autre chose », avouera-t-il…

Au lecteur, le soin de le concevoir.

Jane Hervé

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