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Un baptême iroquois : les nouveaux voyages en Amérique septentrionale (1683-1693)

Baron de Lahontan

Préface de Maxime Gohier, édition établie et annotée par Jocelyn Nayrand

Le passager clandestin, coll. Les transparents, 2015

arton1107Drôle de baron errant que ce Lahontan ! Né dans le Béarn en 1666, il part du principe qu’il est « un voyageur » sur les routes du Nouveau Monde et non « un auteur » cherchant à « plaire ». Un tel choix donne à ses 25 missives une démarche sereine et volontiers descriptive. Il y a néanmoins en Lahontan du Don Quichotte quand, accusé d’insubordination, il revient secrètement en France pour s’y justifier avant d‘être contraint à l’exil. Il y a aussi du Marco Polo : nul ne sait si la lettre XVI détaille un vrai périple au bord de la Rivière Longue (Mississipi) ou résulte d’emprunts au journal du voyageur Cavelier de la Salle. Et il y a aussi … de l’authentique baron, du Lahontan pur jus. En effet, dans ce périple nord américain au XVIIe siècle, ce drôle d’observateur s’avère être un transfuge imprévu. Tout d’abord parce qu’il dédie ses écrits au roi du Danemark* ennemi de son propre roi Louis XIV, ensuite parce qu’il n’hésite pas à déplaire à des « services ecclésiastiques » dogmatiques (lesquels brûleront son Satyricon de Pétrone) ; et surtout parce qu’il trouve dans la vie amérindienne une humanité absente de sa nation d’origine, sans l’idéaliser et en préservant même un certain esprit critique. Beaucoup pour un seul baron qui apprend même la langue locale. Au demeurant, il se montre quelque peu aristocrate que par son goût évident de la chasse à l’orignal, au castor, à l’ours, au rat musqué, aux oies, etc…

Dans ce monde nouveau, Lahontan découvre ainsi les « bons sauvages » avec lucidité. Ceux-ci n’ont « ni tien, ni mien(…) n’admettent point de propriété, de biens, de distinction ni de subordination entre eux, (…) vivent comme frères sans dispute, sans procès, sans lois et sans malice ». On croit rêver en songeant à cette communauté première ! Le visiteur n’adule cependant pas sans juger. Il défend des groupes indiens contre « les Iroquois barbares », découvre que certains ont des « esclaves » pour traiter de commerce avec les étrangers… Quoi qu’il en soit ces Indiens qui foulent au pied les sceptres et les lois (leges et sceptra terit), dont le territoire est envahi, deviennent des ennemis dont l’Europe niera les coutumes, volera les peaux de castors ou corrompra ultérieurement les moeurs (introduction d’eau de vie, dont les ecclésiastiques brûleront eux-mêmes les tonneaux pour échapper aux « casse-têtes » (massues) des indiens ivres !). Un monde qui marche sur le scalp. Lahontan conclut que les envahisseurs ne sauraient « détruire les Iroquois », qu’il n’est pas nécessaire « de les troubler, puisqu’ils n’en donnent aucun sujet ». Conseil qui n’a pas été suivi pour le moins.

Or cet observateur d’un monde si nouveau, n’oublie pas de se moquer de l’ancien (l’ex-sien !) avec une évidente « ironie » (dixit Maxime Gohier). Il décrit ainsi les filles de « moyenne vertu » : ces futures « mères de la nation » envoyées par Colbert pour épouser les pionniers français (censés être vertueux et supérieurs aux sauvages). Il caricature aussi certaines marchandes qui assurent avec les « cupidons » indiens un commerce qui n’est pas que de peau de castors, les estimant être des « marchandises de bon aloi » ! Il observe l’incompétence du médecin de M. de la Barre au regard des compétences indiennes.

Troublé(e)s, nous le sommes rien qu’à la lecture de ces groupes indiens qui n’ont résisté ni à l’histoire du Canada ni à celle des Etats-Unis : les Oumamis, les Sauteurs, les Tsonnontouans, les Onnontagues, les Goyogoans, les Onoyouts, les Agniers, les Abenaquis, les Outaouais, les Outchipoueière de la rivière Thenontaté, etc. Une sorte d’incantation à ces disparus de l’histoire et de l’anthropologie, comme on lira – dans cent ans (?) – les noms d’espèces disparues, cette-fois-ci animales. Troublé(e) par l’échange rituel entre le Chef La Grandula et Onontio (surnom du Gouverneur du Canada) qui rappelle « l’arbre de la paix », le « collier » (synonyme de contrat-négociation avec les 5 nations iroquoises), entre divers engagements que les envahisseurs français omettent de tenir… Troublé(e) enfin par l’intelligence du Rat (chef indien) qui prend les français à leur propre ruse. Bouleversé(e) par cet extraordinaire indien qui, brûlé et massacré, chante dans le supplice parce qu’il est « un guerrier ». Ca et là, des objets émergent aussi : canots en écorces de bouleau ou d’ormeau, rames en érable, raquettes pour la chasse, poulet d’Inde (le dindon) ou blé d’Inde (maïs). Ils évoquent cet autre temps artisanal qui aurait pu, avec bénéfice, influencer notre société pourrie d’égoïsme et de consumérisme. Il demeure une interrogation en fin de parcours : le titre baptismal de l’ouvrage, sans doute symbolique ! Mais les caractères sont petits et j’ai peut-être raté la page !

Jane Hervé

* Frédéric IV, lequel fomenta la Grande Alliance.

(A noter… que les notes de J. Nayrand sont remarquables de précision et facilitent l’accès à un monde si autre)

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