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Journal des jours tremblants : après Fukushima

Yoko Tawada (traduction de l’allemand Bernard Banoun et du japonais Cécile Sakai)

Ed. Verdier, 2015

arton1092C’est vrai, j’ai eu envie de lire l’ouvrage d’abord à cause du titre (non que je sois shaker ou parkinsonienne), mais cette vision de ces « jours » qui pouvait être aussi bien poétique que poignante m’attirait inéluctablement. La présence de Fukushima, drame nucléaire s’il en est, m’incitait à entrer dans le livre pour en comprendre les ressorts à la Japonaise.

Hiroshima et Fukushima ont ainsi en commun, outre l’horreur nucléaire, le suffixe shima (île en japonais). De cette appartenance insulaire dérive une pensée autonome que Yoko Tawada décline en tant que porte-parole intermédiaire entre le Japon et l’Occident (comme le philosophe F. Jullien entre l’Europe et la Chine.). Au cours de cette promenade, maintes surprises dont celles explorées concernant le vécu de l’événement « Fukushima ».

Il y a d’abord l’invitation générale au calme en cas de « catastrophe naturelle ». D’une part la langue japonaise ne dispose pas de mot « catastrophe » ; d’autre part cette catastrophe n’a rien de naturelle, la nature n’étant pas responsable de mort par radioactivité ! Dans le pays, tous sont simplement préparés à un grand tremblement de terre… L’optimisme demeure quoiqu’il advienne : il y aura toujours un survivant (avec une chaussette !) pour « reconstruire la vie ».

De surcroît, après le tsunami, les Japonais déplorent la « coupure de courant » et non le danger de radioactivité. Cette disproportion résulte de la manipulation informative, car rien n’en est dit à la télévision. En ces moments difficiles, l’armée (interdite) joue au grand jour les « anges salvateurs » pour se remettre en selle. L’ignorance manipulée masque aussi une option politique : si la centrale nucléaire n’est pas contestée, c’est qu’elle permet d’aller discrètement jusqu’aux armes nucléaires.

Autre constat de l’auteure : riches, pauvres, mafioso, etc., tous sont concernés par l’événement qui engendre un « effet démocratique » certes inattendu ! Çà et là, des réactions singulières et troublantes : un habitant a entendu la « terre gémir », un autre cherche un livre « résistant au séisme », autrement dit lisible après.

Au fil de cet ouvrage, livre précis et raffiné, s’esquisse une conception autre du rapport au monde : la rivière est la même rivière, mais l’eau est différente ; des éléments sans forme (feu, eau, vent) déterminent les formes (terre, etc…). Transparaissent aussi des sentiments proches des nôtres telle que la peur pour les descendants ou la dénonciation de l’image télévisuelle factice (une victime a soif, mais celui qui regarde ne peut rien faire. Une victime passe à l’écran mais que devient-elle ensuite ?). Autant de bribes participant à un échange entre des pensées et des actes dont les nuances marquent un écart vivifiant entre les peuples.

Jane Hervé

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