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Du souffle dans les mots : trente écrivains s’engagent pour le climat

Collectif, sous la direction d’Eliane Patriarca

Arthaud, 2015

Liste des auteurs

MEL ecrivains30 écrivain(e)s se sont mis sur leur 31*… écologique pour rédiger un discours rappelant l’urgence d’une action en faveur du climat. Ce projet novateur de « parlement sensible », sollicité par La Maison des écrivains et de la littérature, venait en soutien à la COP 21.

Reconstruisons une histoire en piochant délibérément dans une partie de leur « discours » pour saisir l’essentiel de cette démarche collaborative. Leur premier constat d’écrivain(e) est dans leur fonction d’usage privilégié des mots. Sans nul doute, selon Cécile Wajsbrot, « les mots ont quelque chose à dire. Nous qui écrivons, nous le savons bien ». Ces mots sont une nécessité, selon Bernard Chambaz : « Prêter attention aux mots, à la langue, est d’autant plus nécessaire à une époque où on tend à les vider de leur sens, à les retrancher de leur fond sensible et intelligible, et ainsi à engourdir toute action. ». Les termes peuvent même esquisser des formes signifiantes, selon Philippe Claudel : « Voyez ce que je dessine devant vous avec le bâton des morts. La bouche pleine d’une bave amère Que j’aimerais cracher sur vous. Vous les vivants endormis d’aujourd’hui ». Autant d’écrits qui conduisent au même inquiétant constat de Pierre Bergougnioux : « Tout nous dit, nous crie que tout a subitement changé, l’histoire précipité son cours, que les périls sont proportionnés aux chances positives, inouïes que le dernier demi-siècle, les années à peine écoulées ont offertes à l’ensemble, désormais, de l’humanité ».

Qu’explorent ces textes ? Tout simplement ce « climat » qui s’avère rétif à toute approche. Selon Arno Bertina, c’est une « chose que l’on cherche dans l’obscurité, à tâtons, mais avec le sentiment d’une urgence et d’une nécessité, avec l’inquiétude de se prendre un mur, en demandant à ses mains de faire preuve d’un sens aigu de l’espace. ». Cette quête difficile résulte de ces forces de plus en plus complexes et contradictoires œuvrant dans la Nature, selon Gilles Lapouge : « Dans un monde asservi et dont les astres sont de plus en plus domestiques, le climat est une des dernières bêtes fauves encore en liberté. Il n’en fait qu’à sa tête ».

Nous, les humains, sommes pourtant portés par une histoire ancienne selon Emmanuelle Pagano : « Il y a environ douze mille ans, nos ancêtres ont entamé de nouvelles relations avec la nature, qui se sont maintenues, bon an, mal an, jusqu’à ma naissance à peu près ». Qu’avons-nous fait de ces richesses si propices de la nature ? Selon Nicole Caligaris, « Nous nous pensons héritiers d’un jardin que nous devons à nos prédécesseurs. Transformé en dette par la reconnaissance, ce legs nous impose le devoir de le préserver, pour ne pas nous rendre coupables, à l’égard de ceux dont nous nous sentons les obligés, d’un défaut de paiement symbolique ».

Dans cette histoire vécue dans l’immensité de la nature, l’homme n’est qu’un être dérisoire. Ainsi le ressent Frédéric Boyer : « Je ne suis dans l’univers qu’une toute petite boule de la taille d’un ongle bleu où faire pousser quelques légumes. Et j’ai encore en moi des cicatrices de millions d’années ». Ce ressenti reste incertain. Selon Jacques Gamblin, il peut devenir « rebelle(…). Je n’ai pour le moment encore jamais entendu que la température ressentie était identique à la température réelle. ». Même dérisoire, nous sommes des êtres sensibles rappelle Michel Surya : « Il n’est pas sûr qu’il soit ici, en effet, dans cette enceinte, dans l’enceinte du Parlement, aussi souvent qu’il le faudrait, c’est-à-dire autrement qu’accidentellement, question du « sensible », ni dans les thèmes ni dans la procédure des débats, peut-être moins encore dans les rapports que ceux-ci suscitent. »

L’homme a détruit cette nature dont il émerge de multiples façons. Selon Suzanne Doppelt, « Le vent arrache les ramures, déporte les voitures – coup de vent ; légers dégâts aux toitures, le vent fait voler les cheminées ; les arbres sont déracinés, les constructions subissent de gros dommages – forte tempête. » Selon Isabelle Jarry, « Il était arrivé, disaient les plus âgés, qu’une vague géante venue par l’Ouest repousse le cours du fleuve et contrarie son flux, créant un tumulte d’eau magistral et d’énormes inondations. L’eau submergeait tout. » Selon Agnès Desarthe : « Dans un monde où les neiges éternelles auront fondu, je suppose que l’univers cessera d’être en expansion. L’univers gardera la même taille. Il ne s’expandra plus. Peut-être même commencera-t-il à rétrécir ». Une telle destruction multiforme du monde s’est opérée en secret selon Maryline Desbiolles : « Je crois depuis l’enfance que les désastres arrivent toujours la nuit, qu’ils nous prennent par surprise, nous si vulnérables dans nos vêtements de nuit, qu’ils font alliance avec nos monstres familiers. ». Tout en détruisant avec obstination, les hommes se révèlent dans toute leur impuissance selon Olivia Rosenthal : « Aucune nation ne peut stopper le mouvement des glaces, des océans et des fleuves, aucun mur ne peut endiguer la montée des eaux, aucune police ne peut interdire aux particules polluantes l’accès à tel ou tel territoire ».

Pourquoi un tel échec ? Plutôt que de se concentrer sur le rapport à la Nature, l’homme a – hélas – laissé croître la toute-puissante de l’économie sous le mode de l’argent, selon Michel Butel : «La monnaie, soudain, ce fut la monnaie. Le mot était dans le mot. L’argent est sorti de sa tanière, l’argent, juvénile force perverse ». Un tel pouvoir si excessif est sans nul doute destructeur, constate Eric Chevillard : « Vous nous tranchez les mains pour en faire des cendriers, vous arrachez nos épines pour vos mikados, nos dents pour y sculpter vos idoles à bedaine et vous vous offusquez encore quand parfois nous vous mordons la fesse. » Ce développement vénal a déséquilibre notre société, selon Geneviève Brisac : «Pendant des décennies, nos dirigeants se sont inclinés devant les intérêts des puissantes multinationales de l’énergie et ils continueront, à moins qu’ils ne se rendent compte que ce n’est simplement plus possible. »

L’avenir qui se profile risque d’être catastrophique si nous persistons sur notre lancée. Selon Hervé Le Tellier, « Si c’est l’art du possible et non l’intelligence de la nécessité qui nous guident, alors des milliards d’hommes vont périr avant la fin du siècle. C’est pourquoi il faut demander l’impossible aux hommes d’aujourd’hui ». Ce chamboulement de demain s’esquisse dès aujourd’hui. Selon Oliver Rohe, « Cette catastrophe écologique que nous fomentons par notre action calamiteuse sur le climat, par l’expansion délirante de notre territoire au détriment de celui des animaux, se double, chaque fois qu’une espèce animale disparaît, d’un désastre pour la pensée ». Des animaux – c’est-à-dire un peu de nous-mêmes – qui sont à respecter dans leur état sauvage. Selon Antoine de Baecque : « Les animaux sauvages, pour peu qu’on les laisse aller à leur juste place, sont capables de bien plus qu’on ne les soupçonne généralement. C’est notre propre regard qui les transforme en « bêtes  » ».

Que faire ? De la résistance, selon Caroline Sagot-Duvauroux : « Retrouvons la jubilation dont parle Marguerite Duras de résister dans la certitude du bon combat. Soignons nos maquis. La commune libre des consciences ». Or un tel futur clivera les humains, selon Boualem Sansal : « Rien n’arrêtera les uns dans leur marche vers le salut et rien ne retiendra les autres dans la défense de leur havre. À ce stade, « partager  » aura disparu du code de la vie, l’autre est l’ennemi absolu. ». Qu’importe, il faut quand même tenter le coup, propose Sylvie Granotier : « En changeant de mode de vie, on n’est pas certain de sauver l’espèce humaine, en revanche, on est certain de vivre mieux. Individuellement et collectivement ». Oui, mais « Sommes-nous prêts à changer radicalement, je dis bien radicalement, nos habitudes de consommation ?, questionne Koffi Kwahulé. J’ignore les chiffres, mais je suis certain que Paris compte plus de véhicules que tout le Madagascar. »

Cessons de nous masquer la réalité. Selon François Emmanuel, « Le déni n’est pas une négation d’une réalité mais un refus de prendre la mesure de cette réalité, de la reconnaître dans ses conséquences. » Au reste, ce demain-là, le nôtre, vacille déjà aujourd’hui selon Michel Deguy : « Contre l’évidence, nous voulons que ce ne soit pas si certain, que ce ne soit pas si grave, que ce ne soit pas si imminent. L’espérance est bien ce que décrit le mythe, le pire des maux des hommes. » Ainsi le constat d’Erri De Luca est d’une grande lucidité : « Je vois l’Europe comme une forêt de gens. Nous nous sommes enracinés dans un sol fumé par les flammes et les massacres. Sur les fosses communes poussent les générations de nouvelles plantes qui se dressent en hauteur tout en restant ancrées au sol. »

Et dans une telle forêt d’hommes qu’adviendra-t-il à notre progéniture ? Carole Martinez ne les oublie pas et anticipe même : « Je suis l’enfant de demain, le vôtre, celui d’un autre, l’enfant de votre enfant, je suis cette part d’enfance en vous qui ne s’effacera pas. Je suis une miette d’humanité. » Marie Desplechin exige que ces enfants-là aient enfin le droit à la parole : « Personnellement, je ne serais pas choquée qu’on accorde demain le droit de vote à des enfants de sept ans. Ce sont eux qui vont boire la tasse. »

Alors, au moins pour eux et pour demain, deviendrons-nous enfin responsables ? D’une responsabilité version Hans Jonas que je m’autorise à rappeler : Agir de telle sorte que les principes de notre action « soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » et « ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie ».

Jane Hervé

*31 auteurs se sont exprimés.

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