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Être forêts. Habiter des territoires en lutte

Jean-Baptiste Vidalou

Zones, 2017

Il est des livres dont la contribution à la réflexion collective, la lutte partagée et la littérature belle et engagée est évidente dès les premières pages ; et ne cesse de se renforcer, toujours subtilement, au fil de la lecture. Être forêts est de ceux-là.

Jean-Baptiste Vidalou nous offre un excellent essai, doté de tous les bons ingrédients : une perspective historique indispensable et passionnante, des exemples précis qui accompagnent une analyse approfondie, un regard alerte sur notre temps, un propos courageux et lucide porté par une plume franche et fluide.

Le travail de documentation qu’il a mené est habilement restitué. On comprend très bien – exemples révoltants ou édifiants, toujours incarnés, à l’appui – que gestion, administration et militarisation sont intrinsèquement liées dans le processus historique de rationalisation des êtres et des territoires. Que la trajectoire historique du progrès a créé un « paysage dévasté : d’un côté des chantiers titanesques de destruction du vivant, de l’autre une biodiversité muséale ». Percée de voies de circulation dans les bois pour faciliter les interventions armées afin de réprimer des mouvements d’insoumission ; promulgation de lois d’exploitation qui défont les usages et les liens des habitant.e.s à leur territoire ; mainmise des ingénieurs et de leur arsenal de chiffres sur les pratiques agropastorales et forestières, pour ne plus percevoir que des forêts de données ; colonisation de la logique extractiviste partout où la richesse se loge.

Mais aussi, stratégies de maquisard.e.s, traditions qui témoignent d’une inséparation véritable entre rituels, luttes et usages coutumiers, récits d’un rapport à l’espace bien plus vécu que planifié…

Vidalou nous démontre la sédimentation progressive (à coups de lois, de gros sous, et d’imaginaires atrophiés – de capitalisme industriel) de la distanciation alarmante, et toute artificielle, donc, entre la terre et nous. Mais il n’en reste pas là : en fait, même, il part d’où ça vit, d’où ça continue de bâtir, dans ces forêts qui sont autant de lieux qui ne se laissent pas séduire par le récit de la domination du vivant, qui s’empuissantent de l’indéfinition. Où l’on s’abrite, où l’on se cache, et d’où l’on sort pour lutter : « Car la forêt, précisément, n’est pas un espace situé dans un « ailleurs » improbable du monde, mais bien un rapport singulier qui surgit au cœur du monde, entre les êtres, entre les règnes. »

Une lecture passionnante, parce qu’elle dévoile, et parce qu’elle ouvre ; un plaidoyer pointu et sensible pour des forêts ingouvernables.

Être forêts. Habiter des territoires en lutte, Jean-Baptiste Vidalou, éditions Zones, 2017.

C.T.

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