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Je crise climatique : la planète, ma chaudière et moi

Jade Lindgaard

La Découverte, 2014

téléchargement (1)Un livre dont le titre pourrait être conjugué à toutes les personnes du présent de l’indicatif : « Tu crises climatiquement, Il/Elle crise climatique, Nous crisons climatique, Vous… ». Arrêtons la litanie du présent. Attaquons le futur : « Je criserai climatique» et cetera jusqu’à ce qu’il soit trop tard et qu’il n’y ait plus de futur.

la veille de la conférence internationale sur le climat en novembre-décembre 2015 (COP 21) dont l’objectif est de limiter les bouleversements climatiques, il n’est guère facile d’appréhender la question. La situation complexe entremêle l’histoire, la science, la technique et la politique à la vie quotidienne et sociale. Le mérite du livre de Jade Lindgaard est de réunir ces divers aspects, tout en empruntant des voies transversales inattendues. Elle décline ainsi notre modernité industrielle en chapitres qui muent des objets ou des lieux en autant de symboles. Chaudière, voiture, avion, en passant par les dits « zettabytes », la pollution et le désormais classique hypermarché… Chaque symbole du progrès technique ou des dérives commerciales en prend pour son grade ! La chaudière si dépendante des énergies fossiles « se tord de honte », car elle masque tout de son fonctionnement polluant et ne subit aucune évaluation environnementale. Au demeurant, le confort thermique n’est qu’ « une invention moderne » ! Nul doute, cet engin secrète « un scandale politique » en bénéficiant de diverses protections. L’auteure observe ensuite les divers moyens de transports dont le délire des rabibocheurs de voitures (les « tuneurs ») qui créent d’extravagantes voitures, et n’oublie pas le délire des obsessionnels de l’accélérateur (« Jamais sans ma voiture »). Lorsqu’elle se rend au Forum social mondial à Tunis, elle emprunte non un dos de mulet, mais un ferry à 10 étages au ventre bourré de 4×4. Cherchez la contradiction ! Elle livre sa propre expérience de l’avion « du deal au terminal ». Elle analyse enfin les Monsieur et Madame « zettabytes » que nous sommes presque tous devenus. Des individus traversés par mille milliards de milliards de bytes (unité informatique) lors de notre vie hyperconnectée entre courriel, podcast, ordinateur, téléphone, télévision, etc. Des êtres qui supportent, comme Mattilda habitant près du Data Center de La Courneuve, l’échec de toute requête contre les installations plantées à 10 mètres de leur maison. Sa « scène de guerre à l’hyper », désormais classique, évoque l’incroyable gaspillage alimentaire auquel nous participons tous. La grande surface « a congelé le consommateur dans le narcissisme commercial, l’égoïsme de marché ». Dans ces hypermarchés gigantesques – plusieurs salles de cinéma – « on y est seul, ensemble », en proie à l’émulation et la stimulation sournoise à l’achat par la vue du voisin poussant son caddie rempli.

Mêlant avec d’humour et récit personnel, travail d’enquête et analyse, elle propose des clefs de compréhension. « Mais pourquoi diable les gens croiraient-ils que le climat change ? Et encore plus dingue, au rôle qu’ils jouent dans cette affaire ? ». Après un constat de la psychopathologie du pollueur, elle va au-delà de l’exploration de ce qui est pourri (on seulement au royaume du Danemark, mais sur toute la planète). Elle essaie de repenser « nos vies fossiles » et de semer discrètement « des graines de dissidence ». Pourquoi ne pas tracer une carte du tendre du CO2 ? Pourquoi ne pas nous réduire vraiment à nos vrais besoins primaires (boire, manger, respirer). Nous sommes ce que nous consommons, nous consommons parce que nous sommes. Pourquoi ne pas reconsidérer nos besoins à l’aune des colibris de Rabhi, des SCOP, des AMAP, des associations d’économie sociale et solidaire ou de la lecture de revues dénonçant la société de consommation. En entamant une « réforme par le bas », elle invite à se libérer de l’emprise de la marchandise, bref de l’ « aliénation consumiériste ». Celle que Marcuse avait déjà dénoncée en révélant une société dont les ouvriers ne rêvaient plus de lutte des classes mais de consommation sur le modèle du patronat. Il faut donc libérer les consciences de l’emprise de la marchandise, bref déconstruire le consommateur de masse. Rien n’est moins évident car avec la montée du néo-libéralisme, l’homme n’a même plus conscience de son aliénation laquelle disparaît dans « l’injonction à la performance, à la concurrence, au gouvernement de soi comme une « entreprise ». Il en émerge une sorte de dé-pensée (néologisme personnel !) de soi pour les consommateurs souverains que nous sommes devenus, même à notre insu. Ce texte résonne comme une invitation à ne pas assister en simple spectateur à l’histoire du climat en train de s’écrire. Au terme de la lecture, on s’interroge : j’arrête ma chaudière (je frissonne déjà), je ne grimpe plus dans ma voiture (où irais-je avec mes béquilles), pas question de prendre l’avion (je placerai une yourte dans mon jardin et inscrirai Kazakhstan au dessus de la porte d’entrée), ni pénétrer dans un supermarché (je vais transformer mon balcon en potager). Et si cet ouvrage ne fait que nous pousser à s’interroger, les questions soulevées par ce « désapprentissage » sont déjà mobilisatrices.

Jane Hervé et Liliane Astier

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