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La coccinelle rebelle

La coccinelle rebelle

par Jane Hervé

Chaque matin, la Coccinelle enfilait sa cape rouge. Elle avait brodé une série de pois noirs : gros les jours d’excitation, petits lorsque l’aiguille tombait de fatigue. Elle arpentait la rue en se dandinant avec une langueur propice. Ici, tout le monde l’aimait. Pour certains, elle avait la force de sa grâce ; pour d’autres, des gambettes graciles assuraient une prestance de top model local.

« Top modèle ? Au top de quoi ? », grommelait le père Mimy le doryphore.

Mimy le doryphore polytechnicien, avait tenté de la séduire par sa grande culture invérifiable : en 1655 ceci, en 1656 cela, en 1912 encore ceci et en 1925 encore cela. À chaque rencontre, Mimy changeait d’année, puis de siècle sans plus de succès. Pour lui, le village – 577 âmes dont lui et 3 ânes – était au cœur de l’histoire des Francs. Ce qui plaçait Coccinelle au cœur de ce cœur… Il est vrai que « Coxy » pour les intimes avait séduit successivement toutes les célébrités locales : l’écorcheur du château aux Allumettes, l’assassin de la rue des Casse-croutes et même le noyé dans une mare de 5 cm de profondeur. Une mort déjà énigmatique ! Coxy, cette beauté indifférente, était estimée responsable de tous ces malheurs, selon Mimy le doryphore. Il est vrai que sa demande de PACS avec la belle avait échoué sur toute la ligne PAX. La donzelle en avait cure et – cure pour cure – elle préférait à tout celle du bistrot.

*

« Un café », commanda Coxy en papillonnant de l’iris à l’attention de Bébert le bistrotier.

Bébert le pyrrhocore – alias le gendarme rouge – déploya un sourire commercial jusqu’aux antennes et même plus ! On ne sait jamais. Si son épouse venait à prendre le large avec son assentiment, il préparait un remplacement en toute discrétion. Bébert s’approcha donc de la machine à café :

« Serré ? », demanda-t-il, préméditant une accolade propice à un début d’aventure.

Pas facile. L’aubergiste tenait d’une main la mouture et de l’autre le porte-filtre à bourrer.

« Desserré, comme d’habitude ! », jeta Coxy avec un sourire Minnie et un subtil bond en arrière.

*

À cet instant, Mamlouk le scarabée bousier poussa à la porte du bistrot. Depuis trois ans, jour pour jour, ce cantonnier commandait exactement à la même heure que Coxy, la même inéluctable bière pression. Façon de maintenir la pression sur la belle ! Cela l’incitait à tondre ensuite le gazon du talus à diverses hauteurs, à accrocher un lampion au monument aux morts tous les 11 novembre ou à suspendre un hareng à la corde du clocher une heure avant la messe. Quel bonheur pour Mamlouk, scarabée immigré d’Egypte, d’avoir trouvé du boulot en Normandie ! Il ne lui manquait qu’une épouse, à lui aussi.

*

Bref, le polytechnicard, le bistrotier, le cantonnier – autrement dit le doryphore, le pyrrhocore et le scarabée – s’étaient entichés de la même Coxy la sexy et de son énorme sein rouge à aréoles noires. Un sein qui facilitait l’envol de nombreux phantasmes.

Certaines méchantes langues prétendaient même que Coxy vendait ses charmes après minuit tout près du lavoir. Juste après l’extinction de l’électricité votée par le conseil municipal par mesure d’économie. Les charmes de « La Coxy » – insistaient les commères – n’étaient « pas bon marché ». Cette foutue Coxy s’enrichissait aux dépens de leurs propres joies sur le matelas marital.

*

Or un matin de printemps, un moustique exotique… arriva sur son destrier. Tigré à souhait. L’élégant Moustikus à longues pattes, attiré par la multiplication des pluies (après celle des pains), s’installa carrément au bord du ru. Il y faisait de voluptueux étirements de taïchi. À l’heure où La Coxy terminait ses activités nocturnes et rémunératrices, elle passait devant lui. Pimpante. Habituée de séduire, la Coxy attendait purement et simplement que Moustikus lui tombât dans les bras. L’attente dura plusieurs mois. Moustikus ne pensait qu’à ses propres cuisses si finement articulées. La Coxy, elle, mit des talons plus hauts, raccourcit son étroite jupette, et repeint même un de ses points noirs en blanc. Mais l’indélicat moustique continuait sa gymnastique, tout en admirant le saint clocher de l’église Saint-Aignan. Béat mais hypocrite.

Saint pour saint, Moustikus se prit carrément pour Saint-Aignan, l’évêque justicier qui envoyait des vols d’abeilles sur les envahisseurs barbares. Et Moustikus piqua le doryphore, le pyrrhocore et même le bousier. Tous tombèrent raides morts de chikungougna normande.

Victorieux, Moustikus tenta alors de bécoter « la Coxy ». Mais Coxy, croyant qu’il allait la piquer, hurla soudain en se dépoitraillant et ouvrant ses élytres : « J’en ai marre des dragueurs. Je monte une Femen au village. »

FAIT MEN !!! Une Femen féministe, vraie de vraie. Il y aura une section Insecte. Il y aura une polytechnicienne. Il y aura une bistrotière. Il y aura une cantonnière. Et même une coccinelle à barbe. Enfin à… barbe à papa-maman !

 

 

 

Ce texte est sous la responsabilité de son auteur et peut contenir des contenus décalés, pas en lien direct avec la programmation du festival.

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