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Villes affamées : comment l’alimentation façonne nos vies

Carolyn Steel

Rue de l’échiquier, 2016

Comment s’approvisionnerait Paris en cas d’urgence alimentaire ? me demandais-je parfois. Quelques jours d’avance en produits frais, un peu plus en aliments autres. L’opportun livre de Carolyn Steel, chercheuse britannique* douée d’un sens aigu de la vie, pose le problème avec le traditionnel pragmatisme anglo-saxon. « Une ville, comme les gens, sont ce qu’elles/ils mangent », à savoir ce qui permet vie ou survie. Fini notre vision à œillères : « je » vais faire mon marché et emplir mon estomac, l’auteure pense d’abord à ce qui va le remplir. Cette saine inversion de perspective assure l’intérêt de sa Ville affamée. L’ordre des chapitres suit le « trajet de la nourriture » de la nature à la culture : la terre (et la mer), l’approvisionnement, les marchés et supermarchés, la cuisine, la table, les déchets et enfin Sitopia (néologisme pour une utopie alimentaire irréalisée car peut-être irréalisable)…

Au fil des pages, l’auteur explore la version british (« in ») et fait des incursions ailleurs (« out ») avec – parfois – un humour subtil… Ainsi le chapitre sur La terre commence par un repas de Noël british autour d’une turkey issue de l’élevage « bienveillant » d’Andrew. Il continue avec l’apparition d’une nouvelle denrée (blé), des « premières villes » (Jéricho), le rapport de l’homme au blé (Homme mangeur de pain chez Homère, le mythe d’Eleusis), la « domestication de la nature » (la campagne aussi importante que la cité, la vie des Teutons dans les forêts), l’appartenance de la terre (Rousseau), le lien « ville et campagne » (les monastères sont des villes naissantes), les « bonnes » ou « mauvaises » villes (de plus en plus vastes et oppressantes : « le laboureur paie pour tous »), l’appropriation des « communs » par ceux qui les travaillent et les clôturent (John Locke), la « guerre des verrues » (c’est-à-dire des villes parasites de W. Cobbett), la terre invisible (transformée par l’agriculture et l’élevage industriels), le retour à la forêt (Thoreau et sa vie dans les bois… à 2 km de Concord), le « sol artificiel » (Liebig et les engrais chimiques, la terre vidée d’humus), le « printemps silencieux » (Rachel Carson, DDT et élimination des insectes nuisibles), la vache folle et les Anglais, le peintre paysagiste Constable, l’agrobusiness, la nourriture au pétrole, et enfin la « troisième voie » (invitation à repenser notre façon de manger).

L’exploration d’un seul chapitre dans ses continuités logiques (en général satisfaisantes) et chronologiques, déroule ce phénomène alimentaire qui s’amplifie avec la raréfaction et la destruction des terres arables. Tout invite à l’utopie, Sitopia, ville rêvée à zéro déchets, Owen et sa New Harmony dans l’Indiana, Howarth et ses cités-jardins. L’architecte devient un « héros » (Le Corbusier et ses cités-ouvrières). On pense à des « fermes verticales »… L’architecte en Carolyn Steel se révèle (ce qui explique et justifie les raisons de sa quête). Elle conçoit « une ville à travers sa nourriture », laquelle implique d’associer les petits pois et poulets avec ceux qui les cultivent ou les élèvent. « Agir en fonction de la terre n’a rien de rétrograde. C’est notre seul espoir de salut ».

La nourriture devient « un enjeu politique ». Cette révolution s’avère vitale pour les générations à venir : leur avenir « est entre nos couteaux, nos fourchettes et nos doigts ». Bref, nous en sommes responsables. A noter que la traduction littéraire de Marianne Bouvier facilite une entrée en lecture aussi aisée qu’un… roman.

Jane Hervé

*Et de surcroît architecte.

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