Jacques Demarcq,
Editions Nous, 2013
« Avant » de se « taire », Jacques Demarcq a entamé l’inventaire de sa vie en toute liberté. Ce roman autobiographique (est-ce possible ?) en vers très-très libre (est-ce pensable ?) propose mille façons de l’écrire. Le poète s’est joué de la langue et des rigueurs coutumières en proposant nombre de variations possibles d’écriture (visuelle ou sonore), comme si dire sa propre vie imposait de jouer avec la forme de sa présentation. Comme si le sens naissait d’une formulation insensée, d’une multiplication de hasards qui n’en sont probablement pas.
Au fil de sa pérégrination, allant du lieu d’habitation à son propre corps (« la danse du dos »), l’auteur introduit – en vrac – des polices de caractères imprévues (romantique pour dire le Grand Meaulnes, ou mécanique pour évoquer la voiture 203, etc…), mélange des chiffres et des lettres avec un naturel qui force l’acceptation. Il introduit même la photo de la demeure où il vécut. Il n’oublie pas de la détailler – pièce à pièce – dans des chapitres successifs (en commençant par la cuisine et finissant par la chambre d’amis où il a été « conçu »). Il en propose le plan et adjoint un hymne (?) à la cuisinière Godin. Au hasard, il joue soudain avec son propre nom (débarquement devient « demarcquement ») et goutte les allitérations insolites (« lieu lit élus », « chouette couette coquette »…).
Ses vers ont un nombre de pieds plutôt variable tantôt 7, tantôt 8, tantôt tantôt !! Les coupes sont insolites, parfois volontairement arbitraires (« m’es » en fin de vers, « suyer » au commencement du suivant). Il coupe volontiers les dates en deux (1922 devient « 19 » en fin de vers et « 22 » au début du suivant). Le mot « Versailles » lui-même n’est pas épargné (« Ver » en fin de vers, « sailles » au début du suivant). Il joue du calligramme (en forme de colonne vertébrale ou de coccyx) dont l’allure seule fait souffrir l’œil.
Ce sont les « zozios », spécialité poétique et déclamatoire du facétieux Demarcq, qui nous ont incité à cette lecture imprévue. Quelques animaux – tous ailés – surgissent et s’envolent des pages : colvert, canard, merle, larves morphales, mouches mites ou cousins. L’ultime poème « AEnd »propose les clés de ce zoo, plus inattendu que l’inattendu. Le poète révèle que les « words like worms have to be birds* ». Au demeurant, le “pic-verbe wordpecker » prouve que la transmutation reste possible (de la bête au langage et du français à l’anglais).
Jane Hervé
*A savoir que les mots comme des vers doivent être des oiseaux…Ni plus, ni moins.