Simon Hureau et Bruno David
Rue de Sèvres, 2024
La sixième extinction n’est pas une expression connue de tous. Quand une enseignante demande à deux élèves de faire un exposé sur le sujet, ils se sentent punis. Après une rencontre fortuite, ils découvrent le véritable sens de ce qu’on leur demande.
L’histoire
Félicien et Salomé papotent pendant que la maîtresse donne son cours. Pour la peine, ils auront le sujet d’exposé que personne ne veut : à l’aube de la sixième extinction. La déception est au rendez-vous quand ils sortent de classe. Qu’est-ce que cela peut bien être ? C’est en rapport avec les extincteurs dans l’école ? La chance va mettre sur leur chemin une experte. Avec beaucoup de pédagogie, elle leur parle de la richesse de la biodiversité et de sa disparition. Elle évoque la révolution industrielle,
« externalisant dans le monde technique de nombreuses fonctions essentielles, nous avons un constant besoin d’énergie pour nous chauffer, nous déplacer, nous éclairer, pour transporter ce que nous produisons, alimenter nos machines, nos divertissements, maintenir au frais nos aliments, etc. Et pour produire cette énergie, nous puisons dans les ressources de la Terre. » (p. 19).
Les enfants ne comprennent pas totalement le rapport avec leur sujet. Puis, un paléontologue leur permet de voyager dans le temps pour comprendre les impacts du changement climatique.
« Dans un très large périmètre autour de l’impact, oui, ça a dû être aussi hollywoodien qu’on se plaît à l’imaginer… L’erreur consisterait à y voir la cause unique. Justement ! L’étude des différentes crises nous enseigne en tout premier lieu la complexité des phénomènes, leur caractère multifactoriel. Nous parlons des cinq majeures, mais n’oublions pas que depuis 500 millions d’années, une soixantaine de crises ont été identifiées, toutes différentes ! Jamais les météorites n’expliquent tout ! On a des crises clairement sans météorites et de nombreuses météorites sans crise. » (p. 98).
On n’a pas toutes les réponses ce qui explique aussi les différentes versions du passé. Il faut garder cela à l’esprit. Tout comme de nombreuses espèces disparaissent. Cela a toujours été. « Il n’y a rien de plus discret et silencieux qu’une disparition. » (p. 120). Par contre, de nos jours tout va plus vite. Et l’on connaît le responsable de cette destruction : l’Homme.
Pour vraiment comprendre les implications totales sur la planète, il faut un exemple concret.
« Un jean parcourt en moyenne 50 000 km avant de se retrouver dans nos armoires ! Coton indien, filé en Chine, cousu en Tunisie, etc. Soit 30 kg de CO2 injectés dans l’atmosphère ! Sans compter qu’il faut 8 000 litres d’eau pour fabriquer un seul jean. Sachant qu’il s’en vend soixante par seconde sur Terre cela représente trois millions de kilomètres parcourus par seconde pour l’ensemble des jeans vendus. » (p. 22).
Même si l’on trouve souvent cette comparaison dans les médias, elle fait toujours son petit effet. Au final, les adolescents se demandent ce qu’ils peuvent faire pour changer les choses. Leur avenir semble si sombre. Il faut un peu d’espoir.
« Alors ne désespérez pas ! Si les médias sont très doués pour propager la peur, le repli et la division, les pistes, pourtant, ne manquent pas ! » (p. 137)
Quand un inconnu, demande aux enfants de tendre l’oreille, ils ne perçoivent qu’en premier les bruits de la ville. Puis dans un second temps, des initiatives citoyennes avec des envie d’agir comme trier ces déchets, de devenir bénévole dans une association de recyclage, faire du troc, partir en voyage en France, baisser le chauffage, acheter de la seconde main, cuisiner au lieu d’acheter des plats tout faits, s’inscrire dans une AMAP, faire de l’activisme…
Ces actions semblent difficiles pour des enfants. Néanmoins, eux-aussi peuvent réaliser des choses concrètes comme prendre des photos que si c’est utile, s’habiller en friperie, arrêter de tout filmer, changer tout le temps de téléphone, boycotter la fast-fashion, limiter son temps d’appel… Beaucoup des propositions tournent autour des pratiques du numérique. C’est peu abordé mais les conséquences sont réelles aussi. Maintenant leur vision a changé et ils peuvent mieux se projeter.
Mon avis
La bande dessinée « Le Vivant à vif » est une adaptation du livre « A l’aube de la 6e extinction » de Bruno David (précédent Directeur du Muséum national d’histoire naturelle). Les éditions Grasset et les éditions Rue de Sèvres ont organisé une rencontre entre l’auteur et le bédéaste, Simon Hureau (auteur de Oasis et Sermilik). Les deux hommes partagent un engagement très marqué sur les questions écologiques. Très vite, un lien se crée entre eux et ils décident de collaborer.
L’un maîtrise parfaitement les données et l’autre l’univers graphique. Dès le premier chapitre, nous sommes émerveillés par la beauté de la nature. D’autant plus qu’elle est luxuriante, fleurissante et d’une incroyable richesse. Rien de tel pour rendre le flot d’informations avec des chiffres, des dates et des informations plus digestes. On se rapproche sans aucun souci du Monde sans fin de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici. Par contre le public est plus large en ciblant également les adolescents.
N’oublions pas que nous en suivons deux dans leur quête de savoir auprès d’experts. Cela les amènent même à faire des voyages dans le passé, dans le présent et d’imaginer le futur, même s’il est peu évoqué. C’est très précis et risque de fatiguer plus d’un lecteur occasionnel, habitué au simple divertissement. Rien n’est laissé au hasard pour bien comprendre les corrélations entre la société ; l’humain et son environnement. Par conséquent, c’est évident d’évoquer les maladies, les espèces invasives, l’hétérogénéité des fruits et légumes, les enjeux géopolitiques, la construction, l’eau, la paléontologie…
Le scénariste donne aussi la parole aux climatosceptiques et ceux qui ne veulent rien faire.« Ce n’est pas à mon âge qu’on change ses habitudes ! », « Ecolo-facho ! », « Je n’ai de leçons à recevoir de personne ! » ou « Ayatollah de l’environnement ! ».
Dans la logique, on parle des gouvernements et des dirigeants d’organisation qui n’agissent pas vraiment non plus. Changer les choses couterait trop cher. Dans le PIB, l’environnement n’est pas pris en compte. Toutes les ressources naturelles restent par défaut gratuite. A partir de quand, deviendra t’elle une ressource à considérer et qui n’est pas illimitée ?
Tout cela justifie les 165 pages proposées. Un dossier final avec des associations et des ONG pour agir qu’importe son âge aurait été une vraie plus-value. Avoir une prise de conscience sur une catastrophe est bien mais aller plus loin ensemble, cela serait mieux. Toutefois, c’est bien d’avoir tous les éléments pour s’interroger et voir notre monde autrement. Connaître le passé est un atout pour imaginer l’avenir tout en sachant qu’il n’y a pas de planète B.
Une bande dessinée audacieuse qui parle d’un sujet sensible qui demande de maîtriser l’ensemble de la vie terrestre
Prisca
A retrouver chez Rue de Sèvres