Paco Cerdà
La contre allée, 2021
Traduit de l’espagnol par Marielle Leroy
Rien de ce livre ne laisse indifférente. Paco Cerdà, dans Les Quichottes, nous donne à lire les Voix de la Laponie espagnole, à travers une forme échappant aux classifications habituelles, et avec une justesse de ton et une densité peu communes.
Ce n’est ni un roman, ni un essai. C’est le récit d’une visite – non, pas une enquête, pas un reportage, plutôt un voyage à la rencontre de –, une visite de la région la moins peuplée d’Europe, en plein cœur de l’Espagne. Un territoire aride, montagneux, autrefois investi par des travaux pastoraux et agricoles, et dont le dépeuplement, commencé au milieu du XXe siècle, semble inexorable. Voilà pour le tableau.
Mais Paco Cerdà a souhaité aller au-delà de ce constat plat, poser un regard incarné sur cette région, ses habitants et habitantes – parce qu’il en reste. Alors on le suit, et on découvre, dans une langue puissante, pleine d’émotions sans jamais être pathétique (et formidablement traduite par Marielle Leroy), des paysages riches d’histoires, et des personnes riches de ces paysages.
Ce sont finalement des questions éminemment politiques, et contemporaines, qui sont posées au travers de ces portraits : comment maintenir une ruralité vive, vivante ? C’est-à-dire, quelles attentions publiques sont nécessaires, quels investissements sont indispensables ? Des écoles, des routes, des centres médicaux. Et même, d’abord, l’eau courante, l’électricité. Rien de cela n’est évident en Laponie espagnole. Mais ce n’est pas faute d’indignation : des collectifs ont été formés, dénonçant l’inaction et le mépris dont a fait preuve le gouvernement espagnol. Sa stratégie dévastatrice de non-interventionnisme, aussi : il fallait faire fuir les résistances potentielles aux grands projets extractivistes. Pour cela, le XXe siècle du « Progrès » a aidé. Sauf que les sirènes de la ville et du capitalisme consuméristes ont fini par insupporter plusieurs de celles et ceux qui avaient rejoint les métropoles voisines. Nous voici donc, à l’orée du XXIe, face à la question de la néoruralité : comment composer avec des ruines de pierres – c’est bien de cela dont il s’agit, par là-bas –, mais aussi avec des traditions qui réchauffent les fins d’hiver un peu trop longues, avec des habitants et habitantes jamais partis, avec un climat rude, avec des réseaux d’entraide, avec la solitude, aussi.
Les Quichottes est rythmé par une litanie de chiffres du dépeuplement, des niveaux de densité de population, de comparaisons vertigineuses. Qui frappent, mais sont comme dépassées : un objectivisme qui ne fait pas le poids, face aux humanités que Paco Cerdà a rencontrées. Il faut peu de vies pour repeupler vraiment, en réalité.
L’auteur se fait sorte de reporter du non spectaculaire, et nous emporte littéralement. On a froid avec lui sur la place du village, on tend l’oreille pour mieux entendre la voix de José qui raconte l’école de son enfance, on tremble avec Lucía de traverser son village désormais envahi par les ronces. Surtout, on est convaincue, à lire toutes ces paroles rapportées, qu’il y a encore là-bas – et dans tous les espaces qui subissent les mêmes phénomènes – bien de la force et de la beauté à entretenir.
Charlotte