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Paysage d’hiver : voyage en compagnie d’un sage

Christine Jordis

Editions Albin Michel, 2016

Le Paysage d’hiver de Christine Jordis est un livre initiatique dont le titre, nostalgique pour nos esprits occidentaux, ouvre sur une pensée autre en Extrême Orient. Là-bas la sagesse se décline selon d’autres liens entre les hommes et d’autres rapports avec le monde. La fascination de l’auteure pour le « fantôme » de Kim Jeong-hui, peintre-calligraphe-écrivain coréen du XIXe, mue celui-ci en passeur de sens, véritable intermédiaire entre la culture chino-coréenne et notre culture du soi. Ce voyage extérieur dans le monde (Corée) devient un voyage intérieur dans l’esprit. Pour ce faire, l’auteure séjourne là-bas et reconstitue sur place, en une biographie complexe, cette vie d’ « homme d’Etat, penseur, peintre, calligraphe, théoricien, maître respecté » qui connut même l’exil. L’homme pénètre tout ce qu’il regarde (fleur, paysage, etc.), estompant la différence apparente entre les actions de peindre, dessiner, écrire… lesquelles sont autant de façons de contempler. C. Jordis croise ses pensées avec celles de Confucius, F. Chen, K. Raines, N. Bouvier, W. Blake, H. Michaux, Montaigne, etc., dont les citations émaillent et éclairent le cheminement. Autant de ponts ou d’échos culturels questionnant à leur façon le rapport sujet-objet et l’éventuel dialogue en résultant.

Certes, c’est toujours trahir un ouvrage que de le commenter, surtout en un contexte qui impose d’en retenir quelques rares éléments. Cependant l’esprit est « présent en toute chose » (et donc en ses parties !). Ainsi une simple plante peut être regardée « au point qu’on l’a en soi », qu’elle nous « habite », qu’on « devient elle». En un même courant et un même flux sont unis « le regard et la chose regardée », l’esprit et l’objet. Il n’y a désormais plus de séparation entre nous et le monde. Finies ces divisions qui hantent notre pensée occidentale. Les choses ont « un langage muet ». A nous de le percevoir. La nature, « porteuse de sens », est animée d’« un souffle » fait d’impulsion, de mouvement, de rythme.

Le monde entier est à reconsidérer. Où est ainsi le paysage ? Dans le livre qui l’évoque ou au dehors devant nous ? Kim-Jeong-hui écrit magnifiquement : « Le vent dort, les nuages ont du temps libre. Un oiseau rentre, naturel ». Homme et nature sont infiniment proches, l’un possédant les qualités de l’autre, bien que la « nature physique » ne fasse preuve ni de jalousie, ni de ressentiment… Selon Confucius, l’homme en maturation « est comme le vent » et l’homme médiocre est « comme l’herbe », laquelle « se plie sous l’action du vent ». Se placer dans « l’ordre des choses » implique de s’accorder à celui de l’univers : « Le mouvement des planètes, la succession des saisons, l’alternance de la pluie et du soleil – cette harmonie-là ». Sans nul doute, l’homme de bien, l’humain, reste une quête : « Humain, nous ne le sommes jamais assez et nous ne finirons jamais de le devenir davantage » (Anne Cheng). A méditer par une pratique adéquate, lors de nos comportements dans ce monde de la nature surexploitée.

Jane Hervé

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