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Sur les routes de France (1952-54)

Pierre Fournier

Les Cahiers dessinés, 2015

Pierre FournierLa lectrice se laisse tout d’abord emporter naïvement sur les routes de France. Elle suit sereinement cet ado de 15 ans – Pierre Fournier – qui pérégrinait en famille et en dessinant directos à l’encre de Chine! De 1952 à 1954, ce Pierrot si réaliste raconte sa France avec une telle simplicité et une telle évidence qu’on se laisse porter, de bled en ville ou en paysage. Notre regard est attelé derrière cette foutue Prima 4 Renault (la voiture Caroline aux bagages ficelés sur le toit) qui tombe en panne de ci de là, cahin-caha ; auprès d’un paternel sacrément poilu genre simiesque (imperceptible sur les photos), près d’une maman plutôt discrète et de sœurettes Linette et Dany très présentes. C’est vrai, nous avons affaire à une famille d’instits d’exception version Freinet*. Le fiston révèle donc sa quasi-totale liberté d’observation : il s’auto-corrige rarement, tout juste pour quelque erreur de date, se guillemetisse (néologisme) par politesse pour « râler », s’adjoint tout juste une tignasse plus hirsute pour les ultimes vacances en 1954. Il a grandi, ses cheveux aussi.

Oui, mais au-delà du plaisir de l’œil (version Tintin sans la couleur), il y a une vraie démarche historique et anthropologique et quelques prémisses écologiques. Historique d’abord. On découvre avec stupeur des banderoles ou des graffitis significatifs : « Libérez Henri Martin » (nous sommes dans les années 50), communiste incarcéré pour son hostilité à la guerre d’Indochine. On l’avait oublié. Plus loin, on aperçoit ce « US Go home » qui renvoie à ce temps d’inimitié envers le grand frère, bien avant la rage de Gaulle (1966) ou la guerre du Vietnam (1975). L’histoire du camping enfin que nul n’a encore écrite : encore sauvage en 52, puis plus ou moins organisé en réseau et en famille en 1954. Un camping qui établit d’emblée une forte distinction entre rivaux : les campeurs (propres) et les pique-niqueurs (pollueurs, déjà !). Anthropologique ensuite : une France (du sud il est vrai) encore à l’échelle humaine. D’abord les habitants y ont une vraie présence, celle qu’estompe aujourd’hui les moyens de communication (on est jamais plus sans son ordi ou son portable). On assiste à un duel de pelote basque avec des curés en soutane (l’un d’eux tient plutôt des Dalton !). On achète du vin de messe à La Trappe. On trouve même une carriole tirée par des bœufs au milieu de meules de foin savoyard. On parle de fièvre aphteuse. On visite le caveau des momies de Bordeaux (lesquelles disparaîtront pour cause d’inhumation en 1979). Écologique enfin : Pierrot peste contre les premières lignes de force EDF aux imposants piliers d’acier. Le fromage Fourme est bourré d’asticots… etc., etc. Il y en a tant de « etc. » que c’est une invitation à la lecture.

J’oubliais. Il y a une manière de photographier d’époque où le paysage-décor découvert (extérieur) enveloppe littéralement ceux qui le découvrent (famille Fournier). Et enfin, le soleil de ces années là sourit partout au petit Pierre. Soleil qui nous fait parfois un clin d’œil, le même que celui de Fournier qui, à 73 ans de distance (de 1952 à 2015), nous rappelle ce que la France a été.

Jane Hervé

*L’ouvrage se termine justement à Cannes avec l’arrivée des Freinet.

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